Dans
notre enfance yutzoise (Yutz) nous habitions , mon frère et moi à
proximité du « kêm weech ». le chemin des Romains...
Ce nom familier qui nous était « tombé dans l'oreille »
dans notre jeune âge n'avait que peu de signification sinon celle de
désigner la route qui nous menait alors vers la maison de notre
grand mère maternelle. Insouciante jeunesse... Qui ne pouvait
deviner sous cette appellation en patois, la trace d'une
transmission orale vielle de deux millénaires indiquant le «chemin
des Romains » 1
- stratégique - qui menait de Metz (Médiomatricis) et de plus loin
de Lyon vers les frontières de l'empire, Treves à la conjonction de
la Moselle et du Rhin. Quelle étonnante permanence de ce patois, le
« platt » ou le francique...
Sources :
Carnoy A. Toponymie des chaussées romaines en Belgique et dans les
régions avoisinantes [Essai d'hodonymie ]. In: L'antiquité
classique, Tome 22, fasc. 2, 1953. pp. 297-321.
Lucien-Jules
Vannérus,
1874 -1970
archiviste, historien et toponymiste belge d'origine luxembourgeoise.
Pour voir la suite de l'article sur la langue de nos ancêtres, le Platt, ouvrir les pages suivantes :
avec un clic sur "Plus d'infos » " ci dessous à gauche... Bonne lecture
Le
françique se décline en trois grandes variantes : le françique
luxembourgeois (Grand Duché, région de Sierck et de Thionville), le
françique rhénan (bassin houiller, Bitche, la Sarre et une partie
du Palatinat) et le françique mosellan de la région de Bouzonville2
et de Sarrelouis en Sarre3....
Carte de l'évolution de la frontière linguistique entre Thionville et Boulay entre l'an 1000 et 1950
Malgré
toutes les modifications de frontières « politiques »
depuis Charlemagne, une frontière est restée quasiment immuable
. La frontière linguistique qui partage depuis la période
celte attestée lors du Bas Empire Romain ou depuis l'installation
de s francs selon les exégètes
cette région entre la lorraine de « parler » roman4
et la lorraine s'exprimant dans un dialecte germanique, le
platt ou le françique
dans son appellation des linguistes . Ce n'est pas une
frontière qui correspond ni à une frontière « politique »
ou géographique... mais à quelques toises, dans un village on
entendra l'accent lorrain français qui a fait le bonheur de
certaines émissions de radio Nancy à une certaine époque, la
Méliée Tieutieu.... et puis, sous l'autre clocher voisin les
habitants deviseront en platt ! Ce serait la langue usuelle de
Clovis , de Charlemagne......
Illustration 1 :La Mélie raconte … Georges L'Hote- Ed Serpenoise 1993
A l'intersection de cette frontière invisible mais audible, dans une ville comme Metz5, le langage parlé dans les quartiers populaires s'agrémentera d'un mélange subtil de langue romane matinée de platt ! Il paraît que c'est comme ça que l'on reconnaît les mosellans !
"Le parlé messin" in Le Platt Lorrain de poche - Assimil - mars 2006 |
Eugène
Maillard (1905 – 1995) de Faulquemont qualifiait souvent de manière
imagée ses intrépides petits enfants de « spitz bube »
… des enfants « pointus » ou à sa façon d'intriguer
ces générations montantes en les interpellant , « toi, va
chercher la milchgabel derrière la stall tir » ….ce qui
plongeait ce petit monde dans un océan de perplexité !
Le
patois est également le réceptacle d’appellation de traditions
parfois très anciennes. La « hexennaat » (la nuit des
sorcières) au cours de laquelle les jeunes du village perturbe
'l'ordonnance » de la communauté villageoise entre le 30 avril
et le 1er Mai est la réminiscence de la fête celtique appelée
Beltaine6
chez les bretons et irlandais. Le 1er novembre, pour la « fête
de Samain »7,
il était de coutume de placer une betterave évidée, , les
« Rommlbootzen » (betteraves grimaçantes) éclairées
par une bougie à proximité des cimetières. C'est la
« rommelbootzennaat »8–
la nuit des betteraves- d'origine celte qui nous est revenu des Etats
Unis sous le nom de Halloween, sans doute transmise par les émigrants
irlandais...Mon père, René Albrecht a témoigné de cette tradition
et des facéties avec lesquels il a terrorisé les passants de Yutz
ou de Brumath....Mais depuis,il y a prescription...
Illustration
2 : Jeanne Muller épouse Hissette 1881- 1974
Ma grand mère maternelle
originaire de Klang et Kemplich en plein territoire de ce platt,
idiome largement partagé par la population de cette époque... Elle
ponctuait ses propos de formules quasi rituelles comme « gutt
natt (goud nôte) un (une)merçi » au moment de se quitter
….mais son propos était aussi souvent agrémenté de la formule
« nemme donc » , « ainsi donc » formule
marquant à la fois l'affirmation du locuteur et la recherche de l'
assentiment tacite de son interlocuteur..
Dans ce cas on est dans une
utilisation du patois lorrain roman, celui de notre héroïne
radiophonique de l'a M'élie Tieu Tieu.
|
Notre grand mère avait sans
aucun doute baigné également dans cet idiome lorsqu'elle avait
été amené à travailler assez jeune dans des fermes et des
vignobles du coté de Vigy. Elle en avait gardé un souvenir très
mitigé, douloureux , confrontée à la rudesse de taches exigeantes
comme celle qui consistait à remonter dans des hottes, la terre qui
avait été entraînée par le ruissellement au bas des rangs des
vignes…et dont elle nous avait parlé alors.
Encore
une anecdote, plus récente, et qui s'est exprimée de manière
incidente tout récemment au pied des Cévennes au moment d'écrire
ces lignes...J'expliquai l'origine du pélardon, fromage de chèvre
des Cévennes à une connaissance de Générargues. Ce que peu de
personnes soupçonnent, c'est que ce fromage aurait été introduit
par des maures, éleveurs de chèvres dans une vallée où ils
auraient été accueillis de manière plus accorte par des tribus
franques que par des voisins de la plaine plus ombrageux, des
Wisigoths ! Cette vallée s'appelle d'ailleurs « vallée
française »9
en référence à ces peuplades lointaines.... L'explication fit
réagir mon interlocuteur « J'ai mon épouse qui est
originaire de cette vallée ... sa famille y réside depuis des
temps immémoriaux et figurez vous que, un jour on m'a dit que son
nom avait une origine germanique... elle s'appelle « Gas »...
Et surprise, à la consultation du guide Assymil sur le « platt »
nous trouvons comme traduction pour « gas »... la « rue,
ruelle » !
Enfin
dernier télescopage des cultures autour du « platt » …
s'il vous arrive de croiser un moscovite ou un newyorkais ayant des
origines ashkenazes... vous pouvez lui proposer de prendre un
« chluck »10sans
problème.... vous serez immédiatement compris … Croyez moi,
c'est « du vécu » et ma surprise fut grande lorsque je
me suis assuré que mon interlocuteur (russe) et moi même nous
parlions bien de la même chose !
Vérification
faite, le « platt » et le yiddish (langue des juifs
ashkenazes ) avant son extension en Europe centrale et dans les pays
slaves a les mêmes origines géographiques que le platt,, la
« Lotharingie »11
de Charlemagne.
Ce
qui est confirmé par cette petite bible « Le platt Lorrain »
Assymil de poche qui nous apprend également que cette idiome est
proche du néerlandais12
- du moins à l'écrit, l'accentuation étant plus éloignée – et
où l'on retrouve des termes correspondants et qui n'ont pas
d'équivalent en allemand comme par exemple … un «bengel »
- un bâton !
Fin
de cette digression linguistique …« Ich
hann nét alles verstann ! »13
Mais revenons à notre ancêtre François Hissette
Originaire de la Gaume comme nous le supposons, François Hissette parle le patois lorrain d'essence roman.. sans doute avec quelques inflexions et particularités liés aux différents terroirs. Sa première épouse Anne Sabé dont le père est originaire de Vigy a sans doute grandie dans une ambiance familiale ou le patois lorrains d'essence romane était familier.
Mais voilà ce couple plongé dans un
environnement linguistique différent14,
même si comme on a pu l'observer ici ou là des formes d'osmose...
A Anzeling on est situé sans ambiguité
dans la partie de la lorraine où s'impose alors le platt...Voici
notre ancêtre conduit par nécessité à « hachepailler »15
Néanmoins, la situation est plus
complexe et moins tranchée qu'il n'y apparaît..Ou plutôt, il y a
lieu de distinguer la langue du terroir de celle qui est utilisée
par le pouvoir ducal et les autorités religieuses.
Les actes de baptême des enfants de
Anne Sabé sont rédigés en bas – latin (1716). Celui ci sera
remplacé progressivement par le français qui s'impose
progressivement à partir de la période d'occupation française ( 17
- 1798) les acteurs de la vie publique (administration du bailliage
et de la prévôté, tabellions,..) ayant été mis en place par
l'occupant, le pouvoir royal.
Lorsque Leopold Ier fût rétabli dans
ses prérogatives de Duc de lorraine il ne reviendra pas sur
l'utilisation du français par l'administration ducale Ainsi est
tourné définitivement cette longue période ou la langue allemande
était d'usage pour les actes courants passés devant les tabellions
entre autres...
Cependant comme l'observe J. Kieffer
dans son ouvrage16,
s'agissant du bailliage de Thionville «l'obligation de rédiger
[..] les actes publics et de justice en langue française, rien
ne fût entrepris pour éradiquer la langue régionale dans la vie
quotidienne ». la situation sera analogue
L'exploitation des actes de propriétés
ou d'échange requis en 1731- 1732 lors du remembrement du ban
d'Anzeling nécessitera pour des actes plus anciens rédigés en
langue allemande le recours à des « traducteurs » dont
la désignation comme on le verra par ailleurs, exigera une
« consultation » préalable des habitants.
La permanence de la pratique du patois avec le maintien du droit
coutumier local, base de la justice civile laisse subsister une
identité culturelle assez forte.
Endogamie « linguistique »,
- on ne trouve sa compagne que dans une proximité linguistique et
géographique - , isolement progressif des populations germanophones
à la source d'obstacles à des comportements malthusiens (à patir
de la fin du XVIII ème siècle) plus marqués dans les territoires
de langue française, références religieuses, mentalités, ...telles
sont les questions posées par P. Braeme17
dans un chapitre intitulé « La Moselle : deux langues,
deux fécondités, deux civilisations » de son ouvrage cité en
référence.
Nous relèverons simplement que par
leurs origines respectives notre couple constitue peut être une
passerelle entre ces deux « sociétés ». Quoiqu'il en
soit, leur « intégration » dans la communauté
villageoise ne semble pas se poser en termes de difficultés comme en
témoignagne l'implicatio de François Hissette dans certains
événèments et l'étendue de son réseau familial et surtout celui
de son épouse
------------------------
Notes de bas de page
1Selon
des historiens il s'agit d'une route secondaire. Une autre voie
faisait passer cette route par le gué sur la Moselle au niveau de
Basse Yutz
2Jean
Louis Kieffer, Mach Keen Dénger, Ed Domini Thionville &
Gau u Griis , Bouzonville 1998 – Proverbes, dictons de la sagesse
populaire de pays de Nied
3Le
Platt Lorrain de poche – Assimil évasion – mars 2006
4Jean
Lanther & Alain Litaize Le parler de Lorraine -
dictionnaire du français régional ed Bonneton -avril 2002
5Michèle
Benoit & Claude Michel – Le Parler de Metz et du Pays
Messin – éd Serpenoise - 2ème trim 2001
6Beltaine
(Bealtaine, Beltane ou Beilteine, Beltan en breton, cornique, et
gallois) est la troisième des quatre grandes fêtes religieuses de
l’année celtique protohistorique, fêtée le 1er mai. Elle vient
après Samain et Imbolc et marque la fin de la saison sombre et le
début de la saison claire. Elle est en rapport avec Belenos, Lug et
Belisama. Le principal rituel de Beltaine consiste en des feux
allumés par des druides où le bétail passait afin qu'il soit
protégé des épidémies pour l'année à venir.
7
Chez les celtes, la « frontière » entre les mondes des
vivants et des morts s'estompe lors de cette nuit. Symbolise la
transition vers la nouvelle année. En Irlande Samhain représente
l'union des déesses Morrigan et Boan avec Dagda. Le feux, la
lumière met en fuite les mauvais esprits qui pourraient se joindre
à la célébration.
8« De
naat » : la nuit , se prononce «de noote »....
à l'oreille cela sonne mieux !
9Le
nom de plusieurs villages du Gard et de la Lozère dans cette vallée
comportent ce suffixe « vallée française » ; St
Etienne de Vallée F., Ste Croix de Vallée F., Moissac de Vallée
F., etc...
10Un
« Schluk »: un coup à boire
11Le
yiddish est né vers le XIIe siècle dans les communautés juives
prospères de Lotharingie (en Rhénanie) autour de Mayence
(Magenza), Cologne, Spire (Schapira), Worms (Wormaïza) et Trèves.
Sce Wikipédia
12Clovis
était un chef franc originaire de l'embouchure du Rhin... et il
parlait sans doute un déclinaison du francique.
13« Je
n'ai pas tout compris »
14« au
nord de Thionville, les villageois ignoraient totalement le
français, au sud (il) était minoritaire » Villages et
Villageois en Lorraine au XVIIIème siècle – J . Kieffer p. 8
15Hachepailler :
parler allemand ou le patois germanique in Le parler de Metz
C.Michel
16Idem
- Villages et Villageois en Lorraine au XVIIIème siècle – J .
Kieffer p. 7
17Pierrr
Brasme – La population de la Moselle au XIX ème siècle – Ed
Serpenoise - 1er trim . 2000 p. 41-43
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