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lundi 25 janvier 2016

Le francique .. ou le platt lorrain !

DiS...gressions autour du françique... du platt !
Dans notre enfance yutzoise (Yutz) nous habitions , mon frère et moi à proximité du « kêm weech ». le chemin des Romains... Ce nom familier qui nous était « tombé dans l'oreille » dans notre jeune âge n'avait que peu de signification sinon celle de désigner la route qui nous menait alors vers la maison de notre grand mère maternelle. Insouciante jeunesse... Qui ne pouvait deviner sous cette appellation en patois, la trace d'une transmission orale vielle de deux millénaires indiquant le «chemin des Romains » 1 - stratégique - qui menait de Metz (Médiomatricis) et de plus loin de Lyon vers les frontières de l'empire, Treves à la conjonction de la Moselle et du Rhin. Quelle étonnante permanence de ce patois, le «  platt » ou le francique...

 Sources : Carnoy A. Toponymie des chaussées romaines en Belgique et dans les régions avoisinantes [Essai d'hodonymie ]. In: L'antiquité classique, Tome 22, fasc. 2, 1953. pp. 297-321.
Lucien-Jules Vannérus, 1874 -1970 archiviste, historien et toponymiste belge d'origine luxembourgeoise.

Pour voir la suite de l'article sur la langue de nos ancêtres, le Platt, ouvrir les pages suivantes :
avec un clic sur "Plus d'infos » " ci dessous à gauche... Bonne lecture

Le françique se décline en trois grandes variantes : le françique luxembourgeois (Grand Duché, région de Sierck et de Thionville), le françique rhénan (bassin houiller, Bitche, la Sarre et une partie du Palatinat) et le françique mosellan de la région de Bouzonville2 et de Sarrelouis en Sarre3....
 
Carte de l'évolution de la frontière linguistique entre Thionville et Boulay entre l'an 1000 et 1950


Malgré toutes les modifications de frontières « politiques » depuis Charlemagne, une frontière est restée quasiment immuable . La frontière linguistique qui partage depuis la période celte attestée lors du  Bas Empire Romain ou depuis l'installation de s francs selon les exégètes cette région entre la lorraine de « parler » roman4 et la lorraine s'exprimant dans un dialecte germanique, le platt ou le françique dans son appellation des linguistes . Ce n'est pas une frontière qui correspond ni à une frontière « politique » ou géographique... mais à quelques toises, dans un village on entendra l'accent lorrain français qui a fait le bonheur de certaines émissions de radio Nancy à une certaine époque, la Méliée Tieutieu.... et puis, sous l'autre clocher voisin les habitants deviseront en platt ! Ce serait la langue usuelle de Clovis , de Charlemagne......

  Illustration 1 :La Mélie raconte … Georges L'Hote- Ed Serpenoise 1993

A l'intersection de cette frontière invisible mais audible, dans une ville comme Metz
5, le langage parlé dans les quartiers populaires s'agrémentera d'un mélange subtil de langue romane matinée de platt ! Il paraît que c'est comme ça que l'on reconnaît les mosellans !


"Le parlé messin" in  Le Platt Lorrain de poche - Assimil - mars 2006
Les « grômbir" pour désigner les pommes de terre sera un terme partagé par bon nombre de terroirs lorrains et l'oncle sera dénommé « Nonon » que l'on soit en lorraine romance ou francique...(parlé messin)

 
Comme dans le dialecte alsacien, la langue est très fleurie en « blagues » et expressions décapantes et elle se sert souvent à se moquer des travers de la société et de ses représentants. Attention à ne pas se faire traiter de « hocknatlénsenspaller » (coupeur de lentilles dans le sens de la hauteur), « porettenposser »(greffeur de poireaux) ou de « ämetzeingeiser » (castreur de fourmis) … !

Eugène Maillard (1905 – 1995) de Faulquemont qualifiait souvent de manière imagée ses intrépides petits enfants de « spitz bube » … des enfants « pointus » ou à sa façon d'intriguer ces générations montantes en les interpellant , « toi, va chercher la milchgabel derrière la stall tir » ….ce qui plongeait ce petit monde dans un océan de perplexité !

 
Le patois est également le réceptacle d’appellation de traditions parfois très anciennes. La « hexennaat » (la nuit des sorcières) au cours de laquelle les jeunes du village perturbe 'l'ordonnance » de la communauté villageoise entre le 30 avril et le 1er Mai est la réminiscence de la fête celtique appelée Beltaine6 chez les bretons et irlandais. Le 1er novembre, pour la « fête de Samain »7, il était de coutume de placer une betterave évidée, , les « Rommlbootzen » (betteraves grimaçantes) éclairées par une bougie à proximité des cimetières. C'est la « rommelbootzennaat »8– la nuit des betteraves- d'origine celte qui nous est revenu des Etats Unis sous le nom de Halloween, sans doute transmise par les émigrants irlandais...Mon père, René Albrecht a témoigné de cette tradition et des facéties avec lesquels il a terrorisé les passants de Yutz ou de Brumath....Mais depuis,il y a prescription...

 Illustration 2 : Jeanne Muller épouse Hissette 1881- 1974

Ma grand mère maternelle originaire de Klang et Kemplich en plein territoire de ce platt, idiome largement partagé par la population de cette époque... Elle ponctuait ses propos de formules quasi rituelles comme « gutt natt (goud nôte) un (une)merçi » au moment de se quitter ….mais son propos était aussi souvent agrémenté de la formule «  nemme donc » , « ainsi donc » formule marquant à la fois l'affirmation du locuteur et la recherche de l' assentiment tacite de son interlocuteur..

Dans ce cas on est dans une utilisation du patois lorrain roman, celui de notre héroïne radiophonique de l'a M'élie Tieu Tieu.
 
  
Notre grand mère avait sans aucun doute baigné également dans cet idiome lorsqu'elle avait été amené à travailler assez jeune dans des fermes et des vignobles du coté de Vigy. Elle en avait gardé un souvenir très mitigé, douloureux , confrontée à la rudesse de taches exigeantes comme celle qui consistait à remonter dans des hottes, la terre qui avait été entraînée par le ruissellement au bas des rangs des vignes…et dont elle nous avait parlé alors.

Encore une anecdote, plus récente, et qui s'est exprimée de manière incidente tout récemment au pied des Cévennes au moment d'écrire ces lignes...J'expliquai l'origine du pélardon, fromage de chèvre des Cévennes à une connaissance de Générargues. Ce que peu de personnes soupçonnent, c'est que ce fromage aurait été introduit par des maures, éleveurs de chèvres dans une vallée où ils auraient été accueillis de manière plus accorte par des tribus franques que par des voisins de la plaine plus ombrageux, des Wisigoths ! Cette vallée s'appelle d'ailleurs « vallée française »9 en référence à ces peuplades lointaines.... L'explication fit réagir mon interlocuteur  « J'ai mon épouse qui est originaire de cette vallée ... sa famille y réside depuis des temps immémoriaux et figurez vous que, un jour on m'a dit que son nom avait une origine germanique... elle s'appelle « Gas »... Et surprise, à la consultation du guide Assymil sur le « platt » nous trouvons comme traduction pour « gas »... la « rue, ruelle » !



Enfin dernier télescopage des cultures autour du « platt » … s'il vous arrive de croiser un moscovite ou un newyorkais ayant des origines ashkenazes... vous pouvez lui proposer de prendre un « chluck »10sans problème.... vous serez immédiatement compris … Croyez moi, c'est « du vécu » et ma surprise fut grande lorsque je me suis assuré que mon interlocuteur (russe) et moi même nous parlions bien de la même chose !

Vérification faite, le « platt » et le yiddish (langue des juifs ashkenazes ) avant son extension en Europe centrale et dans les pays slaves a les mêmes origines géographiques que le platt,, la « Lotharingie »11 de Charlemagne.

Ce qui est confirmé par cette petite bible « Le platt Lorrain » Assymil de poche qui nous apprend également que cette idiome est proche du néerlandais12 - du moins à l'écrit, l'accentuation étant plus éloignée – et où l'on retrouve des termes correspondants et qui n'ont pas d'équivalent en allemand comme par exemple … un «bengel » - un bâton !

Fin de cette digression linguistique  …« Ich hann nét alles verstann ! »13

Mais revenons à notre ancêtre François Hissette

Originaire de la Gaume comme nous le supposons, François Hissette parle le patois lorrain d'essence roman.. sans doute avec quelques inflexions et particularités liés aux différents terroirs. Sa première épouse Anne Sabé dont le père est originaire de Vigy a sans doute grandie dans une ambiance familiale ou le patois lorrains d'essence romane était familier.

Mais voilà ce couple plongé dans un environnement linguistique différent14, même si comme on a pu l'observer ici ou là des formes d'osmose...

A Anzeling on est situé sans ambiguité dans la partie de la lorraine où s'impose alors le platt...Voici notre ancêtre conduit par nécessité à « hachepailler »15

Néanmoins, la situation est plus complexe et moins tranchée qu'il n'y apparaît..Ou plutôt, il y a lieu de distinguer la langue du terroir de celle qui est utilisée par le pouvoir ducal et les autorités religieuses.

Les actes de baptême des enfants de Anne Sabé sont rédigés en bas – latin (1716). Celui ci sera remplacé progressivement par le français qui s'impose progressivement à partir de la période d'occupation française ( 17 - 1798) les acteurs de la vie publique (administration du bailliage et de la prévôté, tabellions,..) ayant été mis en place par l'occupant, le pouvoir royal.

Lorsque Leopold Ier fût rétabli dans ses prérogatives de Duc de lorraine il ne reviendra pas sur l'utilisation du français par l'administration ducale Ainsi est tourné définitivement cette longue période ou la langue allemande était d'usage pour les actes courants passés devant les tabellions entre autres...

Acte concernant Anzeling - Attache du document daté de 1600 - ADM
 Cependant comme l'observe J. Kieffer dans son ouvrage16, s'agissant du bailliage de Thionville «l'obligation de rédiger [..] les actes publics et de justice en langue française, rien ne fût entrepris pour éradiquer la langue régionale dans la vie quotidienne ». la situation sera analogue

L'exploitation des actes de propriétés ou d'échange requis en 1731- 1732 lors du remembrement du ban d'Anzeling nécessitera pour des actes plus anciens rédigés en langue allemande le recours à des « traducteurs » dont la désignation comme on le verra par ailleurs, exigera une « consultation » préalable des habitants.

La permanence de la pratique du patois avec le maintien du droit coutumier local, base de la justice civile laisse subsister une identité culturelle assez forte.

Endogamie « linguistique », - on ne trouve sa compagne que dans une proximité linguistique et géographique - , isolement progressif des populations germanophones à la source d'obstacles à des comportements malthusiens (à patir de la fin du XVIII ème siècle) plus marqués dans les territoires de langue française, références religieuses, mentalités, ...telles sont les questions posées par P. Braeme17 dans un chapitre intitulé « La Moselle : deux langues, deux fécondités, deux civilisations » de son ouvrage cité en référence.

 
Nous relèverons simplement que par leurs origines respectives notre couple constitue peut être une passerelle entre ces deux « sociétés ». Quoiqu'il en soit, leur « intégration » dans la communauté villageoise ne semble pas se poser en termes de difficultés comme en témoignagne l'implicatio de François Hissette dans certains événèments et l'étendue de son réseau familial et surtout celui de son épouse

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Notes de bas de page

1Selon des historiens il s'agit d'une route secondaire. Une autre voie faisait passer cette route par le gué sur la Moselle au niveau de Basse Yutz

2Jean Louis Kieffer, Mach Keen Dénger, Ed Domini Thionville & Gau u Griis , Bouzonville 1998 – Proverbes, dictons de la sagesse populaire de pays de Nied

3Le Platt Lorrain de poche – Assimil évasion – mars 2006

4Jean Lanther & Alain Litaize Le parler de Lorraine - dictionnaire du français régional ed Bonneton -avril 2002

5Michèle Benoit & Claude Michel – Le Parler de Metz et du Pays Messin – éd Serpenoise - 2ème trim 2001

6Beltaine (Bealtaine, Beltane ou Beilteine, Beltan en breton, cornique, et gallois) est la troisième des quatre grandes fêtes religieuses de l’année celtique protohistorique, fêtée le 1er mai. Elle vient après Samain et Imbolc et marque la fin de la saison sombre et le début de la saison claire. Elle est en rapport avec Belenos, Lug et Belisama. Le principal rituel de Beltaine consiste en des feux allumés par des druides où le bétail passait afin qu'il soit protégé des épidémies pour l'année à venir.

7 Chez les celtes, la « frontière » entre les mondes des vivants et des morts s'estompe lors de cette nuit. Symbolise la transition vers la nouvelle année. En Irlande Samhain représente l'union des déesses Morrigan et Boan avec Dagda. Le feux, la lumière met en fuite les mauvais esprits qui pourraient se joindre à la célébration.

8« De naat » : la nuit , se prononce «de  noote ».... à l'oreille cela sonne mieux !

9Le nom de plusieurs villages du Gard et de la Lozère dans cette vallée comportent ce suffixe « vallée française » ; St Etienne de Vallée F., Ste Croix de Vallée F., Moissac de Vallée F., etc...

10Un « Schluk »: un coup à boire

11Le yiddish est né vers le XIIe siècle dans les communautés juives prospères de Lotharingie (en Rhénanie) autour de Mayence (Magenza), Cologne, Spire (Schapira), Worms (Wormaïza) et Trèves. Sce Wikipédia

12Clovis était un chef franc originaire de l'embouchure du Rhin... et il parlait sans doute un déclinaison du francique.

13« Je n'ai pas tout compris »

14« au nord de Thionville, les villageois ignoraient totalement le français, au sud (il) était minoritaire » Villages et Villageois en Lorraine au XVIIIème siècle – J . Kieffer p. 8

15Hachepailler : parler allemand ou le patois germanique in Le parler de Metz C.Michel

16Idem - Villages et Villageois en Lorraine au XVIIIème siècle – J . Kieffer p. 7

17Pierrr Brasme – La population de la Moselle au XIX ème siècle – Ed Serpenoise - 1er trim . 2000 p. 41-43

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